Ethnographie réalisée dans le cadre du séminaire intercyle Nature et environnement: espaces « d’alternatives » et d’altérité, département d’anthropologie, Université Laval
Par Mikael Scattolin et Jean-Daniel Vachon
La région de Québec est reconnue mondialement pour la quantité et la qualité de ses rivières sportives. Parmi celles-ci, la rivière Saint-Charles se démarque par la place distincte qu’elle occupe dans la communauté des pagayeurs de Québec, en ce qu’elle ouvre la saison d’eau vive et qu’elle permet de renouer ou de créer des relations sociales essentielles à la pratique du canot-kayak. Afin de produire une description ethnographique juste de ce rôle, nous avons complété nos connaissances personnelles avec la lecture de textes scientifiques et des extraits d’entrevues.
D’emblée, il faut reconnaitre les risques inhérents à la pratique du canot-kayak. La présence d’obstacles, la force du courant et les divers mouvements d’eau peuvent présenter des risques importants pour la sécurité des pagayeurs. Évidemment, les connaissances et les habiletés techniques de chacun doivent correspondre au niveau de difficulté de la section pagayée. Malgré cet aspect individuel important, le côté collectif des sports d’eau vive ne doit pas être négligé. Un groupe compétent, composé de personnes se connaissant bien et ayant confiance les uns envers les autres, assure la sécurité mutuelle de chaque individu en cas d’imprévu.
Ainsi, deux éléments contribuent à la popularité de la rivière Saint-Charles. Premièrement, parce qu’elle est la première rivière à dégeler, elle est bien souvent la première rivière à être pagayée. En fait, elle est praticable uniquement au printemps ou lors de grandes crues. Deuxièmement, et parce qu’elle est située en ville, elle représente une rivière facile d’accès. Mais cette accessibilité n’est pas que géographique. En effet, la section Loretteville, située entre le boulevard Saint-Jacques et le barrage Saint-Jacques, et sur laquelle nous concentrons notre analyse, est accessible techniquement pour une vaste portion des pagayeurs de la région de Québec. Pascal Tremblay, président du Club Echohamok, reconnait que « c’est quelque chose de très rare, d’avoir une section aussi longue que ça, avec autant de rapides, mais qui est en plein milieu de la ville. » Ces deux éléments participent conjointement à la création d’un espace social significatif pour les pagayeurs, où des sorties entre amis et des rencontres fortuites permettent le renouement et la création de ces relations de confiances essentielles à la pratique sécuritaire du canot-kayak. La rivière Saint-Charles est donc un lieu de rencontre important qui mène très souvent à d’autres sorties en eau vive.
Le festival Vagues-en-ville, qui a lieu chaque année en avril au parc Chauveau, marque officiellement le début de la saison d’eau vive. Il y a un service de navettes pour des descentes libres et des descentes organisées en rafting. De plus, on y assiste à la première étape de la Coupe du Québec de kayak et à une compétition de «Boater-cross ». Au-delà de ces activités officielles, c’est le moment, encore une fois de former des relations entre pagayeurs de tous niveaux. « C’est vraiment un évènement rassembleur. Dans le sens que tu as les avancés qui sont contents de se revoir, […]. T’as les intermédiaires qui sont contents de pouvoir pratiquer, […]. Pis t’as les débutants, qui sont contents d’être là aussi, parce qu’ils vont rencontrer des gens et vont se créer des liens. », affirme Pascal Tremblay. Il est aussi intéressant de souligner que les détaillants de matériel d’eau vive profitent aussi du festival et de ces liens sociaux pour faire la promotion de leur matériel.
En somme, la Rivière Saint-Charles représente, aux yeux des pagayeurs, non seulement une occasion de se remettre à la pratique de leur sport après un long hiver, mais aussi un lieu où tisser des relations sociales solides, essentielles à la descente de rivières sportives. Le tout est officialisé lors du festival Vagues-en-ville, évènement social dont les détaillants ne manquent pas de profiter.
*** Crédits photo: Vincent Gagnon
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